Des romans coups de poing sur l’intimidation

J’ai dévoré les deux tomes de Victoire Divine, de véritables romans coups de poing nés de la plume vive et colorée d’Edith Kabuya.

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Ces romans parlent d’intimidation avec beaucoup d’audace et d’originalité. Nous sommes littéralement plongés dans une sorte de microcosme : un collège d’enseignement secondaire privé où fils et filles de PDG millionnaires ou de gens très fortunés côtoient les quelques chanceuses recrues qui étudient dans cet établissement huppé grâce à une bourse d’excellence scolaire.

C’est d’ailleurs le cas de Victoire Divine, une jeune fille pétillante de 14 ans qui débute sa 3e année du secondaire et qui nous plonge dans le monde -son monde- du collège Notre-Dame-des-Sept-Douleurs, une école de la plus haute réputation perdue dans un parc magnifiquement verdoyant les Laurentides. Une école qui porte bien son nom, puisque Victoire Divine passera du statut d’Enfant de la Charité (appellation concernant les élèves qui bénéficient d’une bourse d’études) à celui d’Intouchable, surnom affreux donné à l’élève choisi pour devenir la victime numéro un qui subira l’intimidation de ses pairs. On la suivra ainsi pas à pas dans cette véritable descente aux enfers qui fera d’elle une véritable « martyre ». Il y a d’ailleurs tout un lexique (isotopie du judéo-christianisme) qui positionnera Victoire dans le rôle de l’exclue toute désignée.

Les initiateurs de cette coutume diabolique? La Monarchie, c’est-à-dire la clique la plus populaire de l’école composée des élèves les plus riches de la cohorte. Ils font la loi, bref, ils sont la loi. S’opposer à eux revient à signer sur-le-champ son arrêt de mort. Nous sommes en présence d’une intimidation à peine voilée où toute l’école se retourne contre Victoire, parce qu’elle a osé défendre Phi Lan, l’ancienne Intouchable qu’elle a ainsi « détrônée » de  son statut par cette seule intervention.

La violence psychologique, puis physique qui s’en suit seront d’une monstruosité sans nom. Tellement, qu’on se demande comment les professeurs et la direction font pour ne rien voir! Sujet tabou concernant cette dure réalité dans un milieu où les parents font la loi (parce qu’ils paient) ou fiction nécessaire afin de nous faire réagir encore plus fort? Je ne saurais le dire… Victoire sera même chassée de son dortoir et trouvera refuge dans la buanderie, car ses colocataires doivent se plier aux stupides lois de la Monarchie, au risque d’être déclarées Intouchables elles-aussi … Elle ne pourra même plus manger dans la cafétéria, car tout le monde emboîtera le pas quand la clique de la Monarchie (chapeautée par Salomée, la plus belle fille de l’école) se mettra à la huer et à lui lancer de la nourriture au visage. Quand je vous parlais de violence…

Victoire tient bon, car elle souhaite ardemment conserver sa place et faire plaisir à sa mère qui a fait beaucoup de sacrifices pour l’envoyer dans cette école. C’est d’ailleurs une victime qui a du cran, qui se rebelle, qui lutte jusqu’au bout. Mais à un certain moment, c’est trop et elle éclate en sanglots lorsque sa mère l’appelle pour lui demander des nouvelles. C’est justement lorsqu’elle brisera la loi du silence que le vent tournera pour Victoire Divine; elle se transformera en « État voyou »! À partir de cet instant, elle déclarera la guerre à la Monarchie et fera ses propres règles!

C’est dans cette ambiance de rébellion festive que débute le tome 2, alors que la mère de Victoire vient tout juste de secouer les puces du directeur. Dans cette seconde histoire, Victoire redouble de fougue et de créativité afin de se venger de ses bourreaux. Et oh, surprise, elle se fait des alliés! Elle n’est plus seule…enfin! C’est en trio, accompagnée du « gros Bolduc » et de Phi Lan qu’elle poursuivra sa quête… Et tous les coups seront permis, ou presque.

Astuces d’enseignante

Ces romans sont un bon moyen de définir ce qu’est l’intimidation avec nos adolescents. Il serait souhaitable de trouver ensemble les éléments qui correspondent à sa définition à-travers l’histoire de Victoire Divine. De riches discussions méritent aussi d’être amorcées quant aux stéréotypes liés à l’identité culturelle (Victoire passe d’ailleurs elle-même son temps à rebaptiser les autres élèves intérieurement et de manière pas tellement flatteuse…).

Dans cet ordre d’idées, je suggère fortement de considérer cette aventure de lecture comme si les deux romans ne venaient qu’en un « bloc », car le tome 1 à lui seul ne permettra pas d’ouvrir adéquatement le dialogue sur le sujet. L’intimidation, c’est comme un spectre. Entre le bourreau et la victime, il y a tout un continuum. On juge tous les autres dans notre tête quand on a 15 ans, on fait des messes basses. On découvre notre identité, on la forge en se frottant aux autres, on apprend à vivre en société.  On n’est pas toujours gentils-gentils, mais quelle est la limite à ne pas franchir? Comment réagir à cette violence sans sombrer nous-mêmes dans ce cercle sans fin de vengeance? Quand faut-il dénoncer? Pourquoi le faire?

Le commentaire constructif

Bien que « Victoire Divine » se caractérise, entre autres, par une grande richesse du vocabulaire, je ne m’attendais pas nécessairement à ce qu’il y ait autant de passages formulés en langue familière ou populaire. J’étais habituée à ce que les dialogues dans les romans pour la jeunesse le soient, toutefois. Cela m’a un peu surprise, mais j’ai sauté à pieds joints dans cet univers langagier près des jeunes! En fait, comme le personnage principal est une élève de 14 ans, le roman en entier possède une saveur particulière, car il est parsemé ça et là de mots et d’expressions appartenant au jargon adolescent (et relevant de la personnalité créative et explosive de Victoire). 🙂 Est-ce une bonne ou une mauvaise chose? Tout dépend du point de vue et de l’utilisation que vous souhaitez faire  de ces deux bijoux de romans. 🙂 Si l’on encense allègrement le joual des « Belles-sœurs » de Michel Tremblay, alors pourquoi ne pas accorder une petite place au jargon adolescent dans nos cours, ne serait-ce que très rarement et pour les besoins de la cause? Quant à une lecture pour notre propre ado (comme parent), je vous dirais que les leçons de vie que nos enfants peuvent tirer de l’histoire de Victoire Divine sont tellement grands, que je leur proposerais ces livres sans hésiter!

Note : J’ai reçu les romans « Victoire Divine » en service de presse de la part des Éditions de Mortgane, mais sachez que je ne présente que mes coups de cœur sur Un Autre Blogue de Maman.

Pascale Clavel