Depuis le début des classes, je me sens toute chose…
Pour moi, encore une fois cette année, il s’agit d’une « non-rentrée ».
Je suis maintenant devenue prof de coeur, blogueuse et maman-tout-plein: je n’enseignerai pas cette année. Par choix. Mais quand on choisit, on doit aussi avoir le courage se regarder en face, de dire au revoir avec une sorte de respect mêlé de reconnaissance pour ceux que l’on quitte. Il était temps!
Chers premiers élèves du secondaire, je vous écris aujourd’hui, car je ne peux m’empêcher de penser au temps qu’on a passé ensemble. Ma réorientation professionnelle m’a ramenée au tout début, quand j’ai véritablement pris les guides de ma vie en me lançant dans un truc où je n’étais pas certaine de réussir; la part d’inconnu n’avait jamais été aussi présente et le risque, élevé… À chacun son saut dans le vide…
La vie de prof, c’est un peu opter pour le nomadisme. Du moins, au début. On fait la chasse aux contrats, on part à la recherche du Saint Graal : le poste temps plein, la fameuse « permanence » tant convoitée!
Une fois cette première année scolaire terminée, j’aurais tellement aimé ça, rester avec vous, si vous saviez. On aurait parlé littérature, romans; on aurait faits d’autres pitreries qui font du bien dans le local d’art dramatique ou des pièces plus sérieuses qui « parlent des vraies affaires »… On aurait aussi parlé de grammaire : il aurait bien fallu, han?
Mais la vie étant ce qu’elle était, je ne pouvais me contenter d’un maigre 50% ou même 60% de tâche que l’on m’offrait pour l’année prochaine, à ce moment-là. Je partageais mon beau 5 et demi de mon cœur sur Édouard-Montpetit, avec des colocs qui ne cessaient de disparaître (n’est-pas le but ultime de la colocation, finir par partir?) ou qui jouaient à la chaise musicale (que de suspense en fin de bail!) le temps d’une lubie, d’un projet de voyage avorté, d’un énième drame amoureux à essuyer…
J’étais trop occupée à nourrir mes ambitions de début de carrière (et à angoisser pour payer le loyer) plutôt que de songer sérieusement à rester…
C’était pourtant ça que j’aurais voulu faire à ce moment-là.
Petite confession en passant : avant d’être avec vous, j’ai enseigné aux tout-petits dans une école primaire de Ville Mont-Royal, nichée dans un écrin de verdure et d’arbres matures. J’y arrivais le matin, sur mon scooter rétro, les cheveux aux vents, la tête remplie d’idées pour ma journée avec mes cocos… Chaque minute passée avec les petits ne doit pas être gaspillée; ils ne sont biens que dans l’instant présent.
J’ai aussi été très heureuse avec eux.
Je ne vous l’ai pas dit, parce que je savais très bien que ce genre de choses suffisait pour ne pas être prise au sérieux par des presqu’adultes de 16 ou 17 ans qui croyaient tout savoir (ce n’est pas un reproche, puisque c’est dans cette assurance sans bornes que réside toute la beauté d’une adolescence qui finit bien…).
Aujourd’hui, chers premiers élèves de secondaire 2, 4 et 5, vous avez à peu près le même âge que moi, quand j’ai mis le pied pour la première fois dans votre local à vous, puisque c’était nous, les profs, qui bougeaient à ce moment-là… (Quand je vous parlais de vie de nomade!). J’avais 26 ans. Presque 27. Un rien semblait nous séparer malgré nos 10 ans d’écart, et je disposais d’un gros 30 secondes pour devenir votre prof, pour gagner mon titre.
Les premiers mots prononcés dans une classe peuvent vous propulser au sommet de votre gloire ou vous anéantir à tout jamais.
Vous m’avez acceptée tout de suite. J’avais moi aussi ce je-ne-sais-quoi, cette pensée magique propre à la vingtaine qui me faisait croire que je pouvais tout faire. Même ça. Même planifier 5 cours différents lors d’une première année d’enseignement au secondaire. Même réchauffer les banquettes d’un Second Cup ouvert 24 heures pour corriger des productions écrites que je devais vous rendre dès le lendemain. Mes nombreuses marques de stylo rouge encore fraîches, je vous remettais le tout en me recomposant un visage de fille qui assure, malgré un flagrant déficit de sommeil qui m’alourdissait le pas de conquérante en puissance. Tout ça pour ne pas perdre la face, pour conserver ma place. Auprès du département, mais surtout, auprès de vous.
J’aimais mon travail.
Je n’enseignerai pas cette année, mais une partie de moi se souviendra de vous pour toujours. Vous, et tous les autres…
Je vous retrouve sur Instagram, sur Facebook et je suis extrêmement touchée de vos encouragements pour Un Autre Blogue de Maman; la plupart d’entre vous ne connaissent pas encore la réalité parentale. Ce genre de délicatesse vaut de l’or!
On garde contact par l’entremise de vos photos, de vos vidéos… Au risque de tomber dans une sorte de sentimentalité de parent un peu quétaine (mais je suis un parent!!!) je voulais vous dire :
je suis fière de vous.
Je vois des photos où vous êtes entourés de vos amis. En train d’étudier, de vous entraîner, de vous préparer pour une sortie et je souris. Un livre de droit ouvert, une tasse de latté, un billet d’avion, un met délicieux, un éléphant, un palais à Madrid… Vous êtes heureux. Vous êtes allumés et ambitieux. Je vous revois parfois là où je suis moi-même passée, 10 ans plus tôt. (Quand je vous disais que je parlais maintenant comme un parent, mais, au fond, je n’ai pas changé…)
Vous ne le savez peut-être pas, mais j’ai beaucoup appris en vous côtoyant. On dit que les élèves se souviennent toujours de leur prof. Le contraire est aussi vrai : le prof oublie rarement le visage d’un élève, les conversations qu’il a eues avec lui. Les moments où « l’humain » l’emportait sur la matière à transmettre, le travail à accomplir… C’est ça qui reste en premier.
J’ai appris à être responsable de votre bonheur, de vos apprentissages, le temps d’un cours et à faire passer ma petite personne en second plan.
J’ai appris à vous dire non, à vous décevoir sur le coup pour que vous en ressortiez plus grands plus tard, même si parfois, j’avais simplement envie de vous dire oui…
J’ai connu ce lien spécial qui lie une personne à un groupe, à sa tribu. Vous étiez ma classe et je vous aurais défendus bec et ongles devant le grand méchant monde!
J’ai connu des moments où j’aurais voulu que le temps s’arrête. Vous savez, quand je vous parlais de quelque chose, quand j’arrivais à vous embarquer avec moi? Vous écriviez, vous lisiez, vous étiez dedans! Je priais en silence pour que personne ne nous interrompe en ouvrant la porte de la classe, en parlant à l’intercom… On touchait à quelque chose de vrai ensemble et je maudissais le moment où la cloche allait sonner, où la routine allait nous rattrapper.
J’ai appris à vous aimer d’amour, puis à être obligée de vous laisser partir. #inévitablefindannée
Ce n’est pas aussi ça, être parent? Ou grande sœur, appelez ça comme vous voulez… Les profs sont chanceux : ils ont cette longueur d’avance quand on leur met leur premier enfant dans les bras…
Merci. Au revoir. Est-ce que j’ai le droit de vous dire que je vous aime?
Après tout ce temps, que reste-t-il de Madame Pascale ou de sa version au secondaire : Madame Clavel? Bien plus que je ne pouvais l’imaginer…
P.S. : J’ai mis une photo de mon collier en forme de coeur. Il m’a été donné il y a longtemps par une petite Alexia du primaire, mais il vous représente tous. Je le porte presque tout le temps…
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