J’avais une très bonne amie quand j’avais 11 ans. J’étais non seulement sa meilleure amie, mais je pense aussi que ses parents m’aimaient bien. C’était une maison pleine de vie avec un chat, un chien, des gerbilles, des lapins, etc. Et son père, c’était un rigolo. Un peu comme le mien d’ailleurs. J’aurais dû insiter pour qu’ils aillent prendre un café ou une bière ensemble… Mais bon, toujours est-il que Guy, appelons le Guy, car je change volontairement son nom, nous répondait tout le temps la même chose lorsque nous ne savions pas quoi faire :
– Et si vous méditiez sur la question : « Qu’est-ce que vieillir ? »
Je le trouvais vraiment hilarant, à 11 ans, je veux dire… Mais pas de la même façon que je le trouve hilarant aujourd’hui, car je comprends mieux les sous-entendus philosophiques derrière la blague. Alors oui, Guy, c’est vrai, je médite maintenant sur la question « Qu’est-ce que vieillir ? » dans un café rue King avant d’aller chercher ma puce à la garderie. Parce que je peux maintenant t’assurer que j’ai vieilli. Certains pourraient même me qualifier de « vieille » à 34 ans, parce que bon, à quel âge arrête-t-on d’être jeune aujourd’hui ? Pour les enfants et les ados, je veux dire. 29 ans ?
– J’ai vieilli parce qu’on ne m’appelle plus « Mademoiselle » quand on s’adresse à moi pour la première fois. Mis à part les gentils monsieurs dans la soixantaine qui entretiennent la galanterie en ce monde, on m’appelle Madame. Ouch ! Madame. Au début, j’avais le goût de répondre : « Vraiment, j’ai l’air d’une Madame, moi ? » Puis je me suis dit que oui, j’avais l’air d’une Madame parce quand je regarde les Mademoiselles Océane-Alexia-Emmalou-Machin-Chouette je me rends compte que je n’ai plus rien à voir avec elles. Quand j’entre dans la cafétéria du pavillon de lettres de l’Université de Montréal, ce lieu où j’ai traîné tellement souvent, j’ai l’impression de mettre le pied dans une agora d’école secondaire (sans méchanceté, aucune). C’est donc avec beaucoup de paix intérieure que j’accepte qu’on m’appelle Madame.
– J’ai vieilli parce que quand je vais dans les bars (en fait, je n’y vais pratiquement plus, mais admettons…) on ne me demande plus ma carte d’identité. Mes petites rides autour des yeux et ma repousse de cheveux gris me trahissent. Je m’adapte donc à ce nouveau look de trentenaire, à ce visage qui est maintenant le mien et, bizarrement, je ne voudrais plus retourner en arrière. Je fais plus crédible devant une classe d’une trentaine d’ados, non ?
– J’ai vieilli parce que je ne porte plus de jeans. Oui oui. Plus de jeans. Je ne trouve pas ça confortable, bon ! Même s’ils sont « strech », même s’ils sont beaux, même s’ils te font une silhouette de déesse… Pas confortable. Point. Et pour les silhouettes de déesse, il y a les robes !
– J’ai vieilli parce que quand je magasine, je cherche des vêtements qui n’existent plus. « Excusez-moi, avez-vous autre chose que des pantalons « skinny » ? Tsé, des jambes larges ou des boot cut »? Mine perplexe de la vendeuse. Pause. Elle demande à son amie. Réponse : » Oui, dans la section solde, il y a tout ce qu’il y avait dans notre backstore depuis 10 ans. » Sans commentaire.
– J’ai vieilli parce que quand je vais au restaurant avec quelqu’un, ma première question, c’est : « Pas un resto avec de la musique forte, han ? »
– J’ai vieilli parce que quand je me relâche en parlant et que je retrouve mon jargon adolescent, les « jeunes » ne me comprennent plus. Je suis « out ». Ils me regardent d’un air amusé pour rester polis. « Elle est donc drôle, cette Madame Chose… »
– J’ai vieilli, parce que je ne cours plus, je « cardio-pousse ».
– J’ai vieilli parce que je n’ai plus l’impression de perdre ma vie quand je cuisine.
– J’ai vieilli parce que j’appelle plus souvent ma mère que mes amis. Et je trouve même parfois qu’elle a raison…
– J’ai vieilli parce que je préfère les brunchs aux repas tardifs, les sorties familiales aux soirées exaltantes dans les endroits branchés, les hôtels confos aux dortoirs à deux sous, les films à la fin heureuse aux films d’horreur japonais. J’ai vieilli parce que j’aime regarder Downton Abbey, pas parce que c’est romantique, mais parce que les personnages passent des heures interminables à table pour manger et je les envie !
– J’ai vieilli parce que quand je croise une jeune fille qui arbore fièrement ses 10 ans de moins que moi, ce que je vois en premier, ce n’est plus le visage d’une élève, d’une amie ou d’une rivale, mais celui de ma fille et ce à quoi elle ressemblera plus tard…
J’ai vieilli parce que je suis maman. Parce que le mot détente est synonyme d’une nuit de 8 heures et non d’une séance au spa. Parce que je soigne plus que je ne « me soigne ». Parce que je transmets plus que je n’apprends. Parce que lorsque je pense aux moments magiques de mon existence, ce qui vient en premier, ce n’est pas mon dernier voyage aux îles Machins, mais bien la première fois que ma fille a dit : « Maman » (et aussi notre mariage, mon chéri, t’inquiète !) Parce que je préfère faire plaisir à mon petit soleil avant de penser à moi-même.
Parce que pour Noël, en plus de faire plaisir à ma petite fée, ce que je veux, c’est surtout de voir mon monde, parce que le temps se fait rare et qu’à cause de cela, tout devient précieux…
Je vous laisse avec bref, j’ai eu trente ans :
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