Cher Monsieur Couillard,
Ce matin, j’ai envie de vous dire merci. Merci, parce que, pour la première fois depuis très longtemps, on n’a jamais autant parlé de nous, les enseignants!
Vos mesures drastiques en éducation (qu’il est maintenant inutile de décrire encore une fois) ont fait en sorte que vous avez créé un réel mouvement de masse! Jamais les enseignants n’ont eu autant de visibilité et tout cela, c’est grâce à vous! Ou devrais-je dire, à cause de vous.
Ce que vous proposez dépasse tellement l’entendement, que, partout à-travers la province, des dizaines d’entre nous vous ont écrit via les réseaux sociaux afin de faire entendre leur cri du coeur, leur appel à l’aide. Vous nous avez poussés à saigner en public, à étaler notre linge sale au vu et au su de tous. Jamais les gens n’ont été autant informés sur nos conditions de travail déjà difficiles, sur la complexité de notre tâche, sur les gestes du quotidien qui modulent nos heures de classe.
Gageons que maintenant, plus personne n’osera dire que les enseignants sont chanceux, qu’ils jouent toute la journée et qu’ils se la coulent douce grâce à leurs fameuses vacances estivales… Non, Monsieur Couillard, je crois bien que ce temps est révolu. Félicitations, quel tour de force! Il faut savoir que, pour renverser l’opinion publique de la sorte, il fallait vraiment employer des moyens des plus costauds! Et quoi de mieux pour cela que de malmener un corps enseignant déjà à bout de souffle, que de jongler avec le coeur de notre société: nos enfants.
Je ne trouve pas les mots pour vous faire part de la gamme d’émotions qui m’ont envahie quand j’ai vu tous ces parents créer des chaînes humaines devant nos écoles publiques! Vous avez vu juste, puisque l’un de nos plus importants défis, c’était de retrouver ce lien si précieux entre l’école et la famille. Bravo! C’est réussi! Et soyez sans crainte, Monsieur Couillard, nous n’utilisons pas les enfants pour arriver à nos fins, nous leur offrons le meilleur exemple pour que leur éducation soit un gage de réussite: nous formons enfin une équipe avec leurs parents! Il n’y a pas de symbole plus puissant que de nous voir ainsi avancer main dans la main!
Et on ne rigole pas avec les parents, Monsieur Couillard. Ils sont exigeants, ils ont cet instinct protecteur envers leur progéniture, cette force tranquille qui leur permet de soulever des montagnes en cas de grande nécessité. Les enseignants connaissent bien ce sentiment; ils en ont besoin quotidiennement pour mener à bien chacune de leurs journées auprès des enfants. L’ingrédient secret du lien prof-élève, Monsieur Couillard, c’est le sentiment d’appartenance au groupe. Les enfants ne sont pas seulement en 4e, 5e ou 6e année; ils sont dans la classe de Madame Claire, de Monsieur Francis, de Madame Caroline… On baigne en pleine humanité ici, Monsieur Couillard. Une humanité que vous semblez littéralement nier en coupant ainsi de la sorte dans la maigre chair de nos écoles… De nos classes. NOS classes, Monsieur Couillard.
D’ailleurs, tous ces enseignants, tous ces parents, tous ces directeurs d’école qui se tiennent ainsi debout pour créer des cercles de protection autour de nos écoles, ils me font penser à ce personnage de mage tout-puissant dans Le Seigneur des Anneaux. Vous savez, Gandalf le Gris. Vous pouvez rire de mes références, mais l’une de ses répliques les plus connues est tirée d’une scène où il menace une gigantesque bête des profondeurs qui veut s’attaquer à la compagnie de l’Anneau et l’empêcher ainsi de mener à terme sa mission. La grande détermination des parents était certes plus contenue que celle de Gandalf, ils ont protesté de manière civilisée, mais leur message qu’ils criaient ainsi silencieusement était le même : « Vous ne passerez pas! »
Il ne reste qu’à voir, Monsieur Couillard, si cette formule scandée intérieurement ne représentera pas un présage quant aux prochaines élections: « Vous ne passerez pas. »
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