Il s’agit là de ma deuxième tentative pour écrire sur la culture du viol cette semaine. J’ai du mal à me ramasser, à rassembler mes idées. Bien malgré moi, elles explosent dans tous les sens. Ça me remue trop, ça m’habite trop.
Je repars à zéro ce matin, pour mieux me dire, pour mieux vous parler. Je vous entends penser : « Gros sujet, pour un blogue de maman… »
Oui, mais il n’y a pas de gros ou de pas gros sujet ici; il n’y a que ceux qui nous parlent… Et, la culture du viol, ça nous concerne tous, comme femmes, comme mères, comme parents.
Quand j’ai commencé à écrire sur Un Autre Blogue de Maman (pour moi, hors médias sociaux), certains de mes sujets chouchous tournaient autour de la féminité, de la femme-objet, de l’hypersexualisation, de l’image corporelle…
Certaines lectrices appréciaient vraiment. Mais, quelle n’a pas été ma réaction, quand, autour de moi, on me disait qu’on était un peu « tannés » d’entendre parler de filles sans maquillage, d’industrie de la beauté, de Léa Clermont Dion, de femmes-images, d’abus. Dove avait fait sa job, Léa Clermon-Dion, sorti son documentaire et des dizaines de femmes s’étaient vidé le cœur en parlant de leurs agressions, en sortant de l’anonymat… On avait fait ce qu’on avait à faire, on avait oublié et c’est tout. Le sujet n’était tout simplement plus à la mode et, tout comme plein d’autres choses, on avait décidé de rafraîchir nos statuts Facebook avec du neuf.
Et puis, quand je parle de la culture du viol, on lève parfois les yeux au ciel en me disant qu’on n’est quand même pas en Afrique!
Oui, oui. Vous avez bien lu. Ces personnes ne sont pas mal intentionnées, mais simplement mal informées. Ce qui prouve justement qu’on doit continuer à en parler! Parce que trop de gens ignorent à quel point elle fait partie de notre vie, cette culture du non-consentement, sans même que l’on s’en rende compte…
Il faut que de gros trucs se passent, comme dans les résidences de l’Université Laval, comme avec les femmes autochtones, pour qu’on accepte enfin toute la noirceur, tout le côté « pas beau » qui va avec le mot « viol ». Mais faut-il vraiment que des gens aillent jusque-là pour qu’on cesse de banaliser ce qui se produit tous les jours autour de nous?
Je suis mère de petite fille. Heureuse. Comblée. Mais aussi soucieuse et inquiète. Ça veut dire quoi, être une fille, en 2016? Beaucoup de choses… Comme toutes les mères, je ne peux faire autrement que de me voir en elle, malgré tout le travail mental que je fais pour la laisser « être » comme elle l’entend.
« Je me reconnais en toi, je me rappelle cet âge-là (…) Je ne suis qu’à un pas et si fière de toi, ma fille. » (Denis Meunier)
Oui, comme femmes, on ne sera toujours qu’à un pas de notre puce, de notre minie. Pour le meilleur et pour le pire…
Ce que je trouve le plus triste dans tout ça, c’est que j’ai l’impression que ma fille devra se poser les mêmes questions que je me suis moi-même posées quand est venu le temps de comprendre ce que ça voulait dire, être une fille…
À l’adolescence, on est mises en face d’un fait : on n’existe plus seulement comme personnes, mais on devient corps. Plus que jamais. On doit apprivoiser cette réalité. La vivre sainement. Je me rappelle avoir été à la fois choquée et fière de devoir composer avec ça. Ça dépendait des jours.
Le regard que pose « l’autre » sur notre propre corps nous renvoie à celui de toutes les autres femmes; on est à la fois uniques et quelconques. On devient des seins, des fesses, des hanches. On se sent un peu détachées de nous-mêmes; on a l’impression que ce que les gars regardent, c’est quelqu’un d’autre, que ça n’est plus tout à fait nous…
Ça peut être très beau, quand on y pense. Apprivoiser le désir ensembles… si c’est fait dans le respect, dans l’égalité.
Comme première relation amoureuse, je suis tombée sur un gars extrêmement possessif et jaloux. Ça a teinté mes relations avec les hommes pour un bout. J’étais dégoûtée et je ne voulais plus rien savoir! Je ne voulais plus de regards, plus d’attention de ce genre de leur part. C’était injuste, mais nécessaire. Avec le recul, je pense que c’est un peu pour ça que je me suis coupé les cheveux. Et que je portais des chemisiers informes. Rien de grave ne m’est arrivé, mais j’avais envie de prendre une pause de tout ça; ça m’avait vidée.
Vers la fin du secondaire, j’ai laissé un gars très bien entrer dans ma vie. On est restés longtemps ensembles, puis, d’un commun accord, on s’est laissés à la mi-vingtaine.
Je me rappelle qu’en secondaire 4, j’étais allée dans un party. Rien de bien méchant. On célébrait la fin du Gala Personnalité de l’école (un genre de talent show) et on avait décidé de se réunir. La maison d’une amie était pleine de monde. Ça grouillait, ça buvait de la bière et ça parlait fort. J’avais mis une robe, pour une fois. Une robe noire à col rond tout à fait banale, mais une robe, tout de même.
J’avais laissé ma petite gang parce que je cherchais mon amie; j’avais envie qu’on se sauve juste nous deux pour aller prendre un McFlurry au Mc Do. Au moment où je l’avais aperçue, un gars que je connaissais à peine m’avait prise par la taille et tassée contre le mur. Surprise, j’avais essayé de me dégager, mais il avait le regard absent de celui qui avait trop bu. Il m’écrasait de tout son corps. Je l’avais repoussé avec force en le traitant d’épais!
Vous allez me dire que ce n’est pas bien grave, ce genre de truc et que ça n’a rien à voir avec les histoires d’horreur comme celle qu’a vécue Geneviève Pettersen avec un moniteur de camp de vacances à 12 ans! N’empêche que, je n’avais rien demandé. N’empêche que, je n’ai plus jamais regardé ce gars-là de la même façon dans les corridors de la poly… Et que j’ai remis mes chemises à carreaux pendant un autre bout.
À nouveau célibataire, à 24 ans, je ne connaissais plus rien de la « game » qu’il fallait jouer pour rencontrer quelqu’un; la dernière fois, j’étais en secondaire 4 et on s’était dit je t’aime dès la première journée. Ce n’était pas tellement compliqué, l’amour, à ce moment-là…
Je sortais tous les vendredis soirs avec « ma best » au Plan B, sur Mont-Royal. Il fallait bien se livrer au jeu, se plier aux codes sociaux, voir quel miracle allait se produire dans cet endroit supposément magique… C’était assez sympathique, la plupart du temps. La musique était bonne et on jasait de la vie. Je sortais en jeans Levis et en t-shirt rétro, au grand désespoir de mon amie. « Tu t’habilles trop sport! », qu’elle me disait. Ce t-shirt American Apparel, c’était pourtant mon préféré… Et j’avais fait gonfler mes cheveux. Je portais mes boucles d’oreilles brillantes et appliqué mon gloss rose, alors…
Une fois, il y avait une fille qui était arrivée en robe ultra courte avec un sublime décolleté dans le dos. Elle s’était assise à côté de nous avec des copains. On épiait leurs conversations, pour le fun. À un moment donné, un de ses « amis » avait commencé à lui tripoter la cuisse. « Aye! Qu’est-ce tu fais là! », qu’elle avait crié. « Ben, si tu t’habilles de même, c’est que tu veux qu’on te touche! », qu’il avait lancé, presqu’amusé.
La fille était partie. Et on avait fait la même chose. On n’avait plus tellement envie de siroter notre drink trop sucré à côté de lui. Le pire, c’est qu’il y avait du monde qui parlait contre la fille à la robe courte, à savoir « qu’elle l’avait cherché! »
Elle ne l’avait pas plus cherché que moi, avec ma robe noire quelconque, quelques années plus tôt…
Pas plus que je ne l’avais cherché, après être sortie dans une boîte de nuit, en France, lors d’un échange étudiant. Il était 1 heure du matin et on voulait rentrer en taxi, mon amie et moi. On avait à peine 5 minutes à faire dans les petites rues de Montpellier, jusqu’à la gare. Là, il y avait des taxis. C’était en 2002. On n’avait pas de cellulaires pour en appeler un et pas même une cabine proche.
On était presque arrivées quand une voiture s’était mise à ralentir, juste à côté de nous. Il y avait deux gars à l’intérieur qui nous gueulaient après pour savoir comment on s’appelait. Pour avoir nos numéros de téléphone. La grande classe, quoi. « Réponds pas! », que mon amie m’avait dit, en me tirant par le bras. C’est ce que j’avais fait.
Le gars s’était aussitôt mis en colère et n’arrêtait pas de me dire : « Hé! Réponds-moi! Tu me dois le respect! Si t’étais un mec, ça ferait longtemps que je t’aurais mis en sang! » On était mortes de peur et, tout ce qu’on espérait, c’était d’atteindre le prochain coin de rue pour pouvoir courir jusqu’à la gare. La voiture ne nous lâchait pas et le gars ne cessait de nous invectiver, toujours plus fort, toujours plus violemment.
Notre tenue, ce soir-là? Des pantalons cargo kaki et une marinière à larges bretelles. Oui, c’est vrai, il était tard. Mais, c’était quoi, la solution « risque zéro »? Ne pas sortir? Louer une voiture? Je refuse.
Peu de temps après, on était parties en Espagne, en voyage. Et on était rentrées tous les soirs à 18h00, à l’auberge de jeunesse. Pour plus de sûreté. Parce qu’on était quatre filles qui voyageaient toutes seules.
Ce n’était pas normal. Ce n’était pas juste.
Quelque temps après, dans nos résidences étudiantes mixtes, un gars s’était amusé à nous prendre en photo pendant qu’on prenait notre douche. On n’a jamais su qui c’était. Une fois, une amie avait lâché un cri perçant en apercevant le flash et on avait couru jusqu’à la salle de bain.
Je l’avais presque rattrapé dans l’escalier, mais je n’avais pas réussi à voir son visage. Il s’était sauvé comme un lâche! J’étais en furie; il avait entre ses mains des photos de nous toutes nues à montrer à ses chums. Nous, on n’avait fait que prendre notre douche. Il n’y avait pas de loquet pour verrouiller la porte.
Et on ne devrait pas en avoir besoin pour prendre sa douche en paix. Gars comme filles.
Pas plus qu’on devrait avoir besoin de planifier nos séances de jogging avant la noirceur. « Arrête de courir quand il fait noir », que ma mère me disait au téléphone, une fois de retour à Montréal.
« Inquiète-toi pas!, que je lui répondais. Il ne m’est rien arrivé! »
Plus tard, j’apprenais qu’une fille s’était fait agresser alors qu’elle faisait tranquillement son jogging à Bromont.
J’ai arrêté de courir le soir. Ou près des bois. Je n’aurais pas dû, mais la trentaine avait apporté avec elle une sorte d’anxiété mal placée. La peur avait eu raison de l’insouciance propre à la jeunesse.
Alors, être une fille en 2016, ça veut dire quoi?
« Je me reconnais en toi, je me rappelle cet âge-là (…) Je ne suis qu’à un pas et si fière de toi, ma fille. »
Pas ce que j’avais espéré…
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