Le nom de Greta Thunberg est sur toutes les lèvres… C’est fascinant de constater qu’une si jeune personne puisse avoir fait une si forte impression partout à travers la planète. Plusieurs la voient comme une jeune héroïne, ardente protectrice de notre environnement qui n’a pas froid aux yeux (et qui n’a certes pas la langue dans sa poche), alors que d’autres la trouvent « extrêmement dérangeante »…
« Il y a quelque chose d’irritant dans sa démarche », ai-je entendu récemment.
« Elle ne devrait pas être à l’école, comme tout le monde!? ».
« Cela ne va rien changer (en parlant de la marche mondiale pour le climat)! »
« À part déranger le monde, je ne vois pas quel impact ça aura. Voir si le gouvernement va faire quelque chose! Commençons par agir nous-mêmes et on verra! »
Et ainsi de suite. Je pourrais continuer ainsi longtemps… J’ai écouté plusieurs fois le discours de Greta Thunberg, celui qu’elle a prononcé à l’ONU le 23 septembre et je sais que vous n’attendez qu’une chose : connaître ma position face à sa lutte et pouvoir ainsi me juger… Il n’y a pas de mal à ça. Tout le monde le fait. 😉
Mais je risque de vous décevoir un brin parce que ma position en est une qui se situe dans une zone grise. Je m’explique.
Je suis une mère, une ex-enseignante au secondaire et aussi une femme. Ce que je vois derrière Greta Thunberg et son discours extrêmement émotif, ce n’est rien d’autre que le visage de l’adolescence. Une adolescence médiatisée en raison de la grande cause dont il se fait l’étendard (le climat), mais aussi des défis particuliers de la jeune fille (elle est atteinte d’autisme Aspergerg). Je dis « défis », mais on a tôt fait de se rendre compte que les contes (modernes) pour enfants disent vrai : la différence et ce que l’on croit être un défi, devient ici une force quand vient le temps d’asséner les politiciens et nos dirigeants à coups de formules-chocs.
« Comment osez-vous? »
» Vous avez volé mes rêves et mon enfance avec vos paroles vides… »
« Les yeux de toutes les générations futures sont sur vous! »
L’adolescence n’a pas de demi-mesure. Elle est dans la passion, l’exaltation. Elle refuse l’inertie. Je dois sincèrement avouer que ma fibre maternelle a été atteinte, je n’ai pas pu faire autrement que d’être touchée par tant d’implication émotionnelle; je me suis reconnue, à 16 ans. Pas vous?
Je dois aussi avouer que ce trop grand étalage de sentiments, ce débordement, bien que contrôlé, a provoqué chez moi un certain malaise. Quand le trop plein s’invite à l’ONU, quand l’adolescence surgit dans un contexte aussi « officiel », ça déstabilise. J’avais l’impression d’assister à quelque chose de bien personnel, une sorte de fragilité, une vulnérabilité mise à nue?
On pourrait se poser la question à savoir si ces discours enflammés envers notre gouvernement ont leur place. Je ne saurais dire. En tout cas, ils ont eu lieu et maintenant, la jeunesse (et la non-jeunesse 😉 ) se soulèvent afin de lutter pour l’environnement, parfois très maladroitement, je dois l’admettre…
Le nom de Greta Thunberg fait couler beaucoup d’encre. On riposte « en adultes sérieux », on réagit à ce trop plein en prônant la responsabilisation des citoyens, en faisant appel aux forces de l’économie de marché pour faire des choix éclairés en matière d’environnement. Je suis aussi une adulte mature (ou presque), donc, j’aime que l’on me fournisse ce genre d’arguments, basés sur des faits, du recul, une sorte de position tempérée, une posture « plus réfléchie ».
Greta Thunberg, avec son visage d’enfant qui grandit, qui quitte (douloureusement) le monde de l’enfance, qui s’émancipe de sa candeur et de sa rassurante naïveté, semble posséder toutes les caractéristiques du trickster, un personnage mythique présent dans toutes les cultures. Madame Chantale Proulx en fait d’ailleurs allusion dans son essai « S’affranchir »…
Le thrickster ou fripon, est tantôt vu comme un héros, tantôt comme une personnalité chaotique, un trouble-fête. Bien que la définition que je vous partage en ce moment ne soit pas complète et totalement documentée, je vous la glisse ici afin de voir l’irruption de Greta Thunberg dans la sphère publique sous un autre œil…
Le thrisker est aussi comparé à notre enfant intérieur, impulsif et imparfait… «
« (…)une sorte de médiateur entre le divin et l’homme (…) Il est indispensable à la société : sans lui, elle serait sans âme car, selon l’historien Jacques Bainville, il est « exempt des changements nécessaires à l’adaptation des êtres face à l’apparition des événements nouveaux. » (…) Le fripon est une sorte d’individualiste solitaire considérant les institutions comme des entités étrangères. » (Wikipédia)
Lors du lancement de son livre « S’affranchir », madame Proulx faisait allusion à cette figure et faisait un parallèle avec les problèmes environnementaux. Alors que la science nous prouve que la qualité de notre environnement se détériore, parfois, un individu, un événement survient… Une sorte de claque au visage, pour nous réveiller, un moteur de changement…
Par cette brève allusion à la mythologie, je tente tout simplement de vous dire ceci :
La jeunesse dérange, elle nous secoue, parfois. Son esprit frondeur ne fait pas bon ménage avec notre propension à tout analyser, calculer… Elle nous provoque, nous émeut et elle nous donne parfois envie de penser le monde autrement, d’agir un peu plus sous l’impulsion du moment, avec cette profonde urgence de vivre qui la caractérise…
Oui, le nom de Greta Thunberg est sur toutes les lèvres et certains voient en elle une source d’inspiration… Tout comme Hubert Reeves, David Suzuki ou Naomi Klein l’ont été. Certains visages nous « parlent » plus que d’autres. Celui de l’adolescence a ceci de particulier : il ne laisse personne indifférent, puisqu’il vient puiser à la source : l’enfant en nous renaît de ses cendres avec tous les conflits intérieurs que cela impose…
Merci à Gallimard jeunesse pour m’avoir permis d’utiliser la couverture de « Écologie », un livre à paraître à la fin du mois d’octobre et dont nous ferons certainement mention sur le blogue.
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