C’est sûr que ce sujet n’est pas très crème glacée, limonade sucrée, mais parfois, l’heure n’est pas à la plaisanterie et il faut tout simplement faire avec… Je dis ça parce que j’ai reçu une visite inattendue chez moi il y a de cela quelques jours. Appelons-le Steve, parce que je ne me souviens plus de son nom et aussi parce que je trouve que ça lui va bien, Steve. Il est apparu comme par magie dans notre entrée autour de 20h30 avec sa lampe de poche. C’était assez pour me donner la frousse, mais aussi pour piquer ma curiosité. Une fois permis de la ville montrée et politesses échangées, il est entré.
Il ramassait des fonds pour Espoir Jeunesse, un organisme qui lutte contre l’intimidation et toutes sortes d’autres choses pas très chouettes qui se passent dans la vie des jeunes et qu’on aimerait mieux ne pas savoir. L’intimidation, c’est un mot qui me fait toujours un peu beaucoup trembler par en-dedans. C’est que, j’ai déjà donné dans le dossier quand j’étais enfant et depuis, je suis comme Harry Potter ; j’ai la cicatrice qui brûle quand on en parle…
– Oui, mais ils n’ont pas un projet de loi maintenant ?, que je lui ai demandé.
– Ben oui, mais il y a encore à faire…
Bien oui, il y a encore à faire, bien sûr, quelle question. Oui, parce que Steve m’a dit que son neveu avait mis fin à ses jours dans son sous-sol. À dix ans. Il m’a aussi dit que ma ville était au premier rang en ce qui a trait à l’intimidation et qu’en plus, mon arrondissement remportait la palme d’or de ce macabre concours.
Parce que oui, c’est horrible, l’intimidation. Et certains n’attendent pas d’être au secondaire pour s’y mettre, croyez-moi. J’étais en 2e année quand ça s’est passé et ça a duré deux ans. Encore aujourd’hui, j’en garde des souvenirs précis. Et c’est dur à désincruster comme tache. Ça oriente la perception que tu as de toi-même, ça colore tes relations futures. L’Autre n’est pas seulement source de bonheur, il peut aussi détruire.
Et puis, l’intimidation au féminin, ça peut faire aussi mal qu’au masculin. Ça ne joue pas sur les mêmes cordes. C’est plus sournois. Ça s’attaque au fameux « sisterhood » que l’on traduit par « solidarité féminine », mais qui est moins révélatrice, selon moi, car il n’y a pas le mot « sœur » dedans. Quand on est une petite fille, nos amies, c’est toute notre vie. C’est avec elles qu’on rit, qu’on parle en classe quand le prof ne regarde pas, qu’on oublie de se coucher le soir parce qu’on a encore des choses à se raconter jusqu’à tard dans la nuit…
Alors quand une personne décide que, pour toi, c’est fini, et bien c’est tout simplement comme si ton monde s’écroulait. Tu n’as plus droit à tes sœurs, à ce cercle chaud qui remplace les bras de ta mère, qui te tire vers le haut pour mieux avancer. Dans Quatre Fille et un jeans, toi, tu n’as pas droit au jeans et à sa magie. On a décidé que tu ne le méritais pas et qu’on allait te bouffer ton air, t’aplatir la poitrine, te dérober ta dignité pour faire de toi une poupée qu’on jette par terre et qu’on enlaidit avec un feutre noir. On te tire les cheveux, on te tord un doigt, on t’arrache un bras… Pourquoi ? Parce que c’est drôle voyons ! Et parce que les autres regardent. Regardez, regardez tout le monde jusqu’où je peux aller avant qu’elle ose parler, qu’elle pleure, qu’elle crie. Regardez à quel point je la tiens, là, au creux de mon petit poing de tortionnaire. Elle ne dira rien. Elle ne dira rien, parce que si elle le fait, elle sera toute seule. Et je dirai que c’est elle qui ment, qui humilie et qui tape. Elle a déjà essayé de parler et je l’ai fait. Elle a bien vu que c’était moi, la plus forte.
Quand on a 8, 9, 10 ans, on pense qu’il vaut mieux avoir des amies qui te font avaler du noir et qui te traitent en tapis que de ne pas avoir d’amies du tout.
Contrairement à ce que l’on pense, il n’y a pas vraiment de profil d’intimidés. On parle d’enfants plus timides et anxieux, mais bien souvent, il suffit d’être à la mauvaise place au mauvais moment. Si votre enfant n’arrête pas de se plaindre de maux de tête ou de ventre, qu’il semble s’isoler et perdre de l’intérêt pour ce qui le passionne, cherchez plus loin. Parlez à ses enseignants, soyez attentifs, regardez quand tout le monde croit que personne ne le fait ! Soyez ses yeux et ses oreilles, car sa bouche refusera de parler. Au début…
Le silence est ce qui donne à l’intimidation toute sa puissance. La culpabilité aussi, car la psychologie humaine étant ce qu’elle est, on finit par croire à ce que les autres disent ; il faut qu’il y ait cohérence. » Les autres me traitent comme un vieux kleenex, donc je suis un vieux kleenex. » On pense mériter ce qui nous arrive, alors on a presque peur de se faire punir en en parlant…
Voici un court vidéo de la Fondation Jasmin Roy qui montre le témoignage d’une petite fille. Dans le prochain billet, la conclusion et aussi des ressources, car oui, c’est vrai Steve, il y a encore à faire…
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Oh que je t’aime… Oh que tu écris merveilleusement bien… Oh tu as les bons mots…
Merci, Annie. J’espère sincèrement que ceux qui ont vécu quelque chose de semblable se reconnaissent. Ça a été dur d’écrire là-dessus, car il y avait trop d’émotions en jeu…