Le projet de loi de maternelle 4 ans : mon désarroi…

Par Elyse Gagnon-Pelletier, directrice de la Garderie-Maternelle Hibouge et Bilingo

J’ai mal!

Ça fait maintenant plusieurs mois que nous entendons débattre de cette loi. Jusqu’ici, je ne m’étais pas encore commise parce que mon cœur d’enfant est peut-être encore trop vivant. Ma pensée magique étant si grande, les voix dans ma tête répétaient sans cesse : « Cette loi ne fait tellement aucun sens que ces discours n’aboutiront jamais à rien de concret! »

Mais maintenant j’ai peur!

J’ai mal à notre petite enfance qui est grandement menacée par de telles idées.

J’ai mal à notre petite enfance qui pourrait s’épanouir davantage et qui risque pourtant de devoir subir des contraintes anti-épanouissantes…

J’ai mal à notre petite enfance qui pourrait si facilement augmenter son niveau de bonheur si notre société arrivait enfin à collaborer. Car toutes les ressources existent. Et toutes les études nous démontrent que ces ressources sont les bonnes. Nous devons simplement trouver le moyen de les rendre accessibles.

J’ai mal à notre petite enfance victime du désir de pouvoir des grandes personnes qui, pour se sentir importantes, pensent qu’elles doivent inventer, obstinément et de manière entêtée, quelque chose de nouveau en prétendant être spécialistes en la matière…

Les VRAIS acteurs du milieu de la petite enfance

Si, tout comme moi, vous avez bien suivi le débat, vous aurez compris que tous les acteurs du milieu de la petite enfance s’accordent sur les mêmes points. Ce sont tous les autres qui prétendent savoir et qui mettent la pagaille en trompant tous ceux qui ne savent pas et qui aimeraient se fier à l’autorité en place (au gouvernement qu’ils ont élu).

Mais qui sont les acteurs du milieu? Il s’agit de ceux et celles qui œuvrent auprès des enfants de 0 à 5 ans. Les enseignants et les enseignantes tout comme les directeurs et les directrices d’écoles ou de commissions scolaires ne font pas partie de ces acteurs. Ils sont effectivement des acteurs importants de notre société que nous nous devons d’écouter lorsque les enjeux les concernent. (Mais ça, c’est une autre histoire. Une histoire de débats semblables à celle dont il est ici question. En fait, le milieu de l’éducation tout entier souffre du mal de ne pas être entendu.) Ils œuvrent effectivement auprès des enfants de 6 ans et plus ne représentant pas la même clientèle. Et ceci est discutable… puisque d’autres sociétés incluent les enfants jusqu’à l’âge de 7 et même 8 ans dans la petite enfance.

Donc, tous les spécialistes de la petite enfance s’accordent sur les mêmes objections face à ce projet de loi que je qualifie de destructeur de potentiel sociétal. Je sais, je ne mâche pas mes mots, mais comprenez moi… J’ai été éducatrice à l’enfance pendant plus de 15 ans et me voilà aujourd’hui à la tête d’une garderie à la pédagogie innovante… Je ne peux rester sans voix.

Besoins des enfants versus capacités du réseau et des intervenants

Soulignons les événements d’envergure visant l’amélioration des services à l’enfance afin de limiter les lacunes actuellement observées…

  • La Commission sur l’éducation à la petite enfance en 2016 : « L’AQCPE profite des 20 ans de la politique familiale pour initier un grand exercice démocratique sur les services éducatifs offerts aux tout-petits. Le rapport de la Commission sur l’éducation à la petite enfance émet 5 énoncés de principes qui visent à rehausser l’accessibilité, la qualité et la contribution à l’égalité des chances des services éducatifs à la petite enfance. »
  • Le Sommet sur l’éducation à la petite enfance en 2017: « En écho au rapport de la Commission sur l’éducation à la petite enfance, l’AQCPE organise un Sommet parrainé par la Commission canadienne pour l’UNESCO. Plus de 2500 participants en personne et en ligne, et 31 organisations de la société civile représentant environ 2 millions de personnes en signent la Déclaration pour la reconnaissance du droit de tous les enfants à une éducation de qualité dès la naissance. »

Or, le gouvernement actuel ose présenter un projet de loi qui ne tient aucunement compte de toutes les recommandations présentées jusqu’ici.

Personne ici n’est dupe. Bien que l’objectif du projet de loi sur la maternelle 4 ans soit le dépistage précoce des troubles développementaux et l’apport de la numératie et de la littératie, ce qui se cache derrière, c’est l’argument suivant : cela finira par coûter moins cher!

Notre réseau s’occupe déjà du dépistage précoce et de la stimulation cognitive incluant la numératie et la littératie.

Parce qu’une fois l’implantation des classes réalisée, les coûts en infrastructure et en professionnels seront assurément inférieurs à ce que peut coûter une installation de type CPE et une équipe d’éducatrices….

Le problème, c’est que je vois déjà le désastre se pointer lorsque, quelques années plus tard, nous aurons créé plus de difficultés que celles évitées.

Pour expliquer mon propos, revenons à l’objectif premier de la création des garderies qui a pris naissance dans les années 70 et qui s’est consolidée dans les années 90. Pour survoler l’histoire de la création des garderies, visitez cette adresse : http://www.aqcpe.com/historique/ On y explique, entre autres, que « le rapport Un Québec fou de ses enfants, propose des recommandations quant aux actions à prendre pour prévenir l’apparition ou diminuer l’ampleur des problèmes qui touchent les enfants. Parmi les principales pistes de solution mises de l’avant, la prévention et la réduction de la pauvreté sont privilégiées. On y évoque l’idée de créer un réseau de services de garde éducatifs. »

En d’autres mots, l’objectif principal de la création des garderies à faible coût pour toutes les familles était de cibler les enfants vulnérables afin de leur offrir un milieu éducatif stimulant et sécurisant, facteur de protection contre les difficultés développementales potentielles qui pourraient affecter leur réussite scolaire et leur potentiel individuel.

Tout ça parait merveilleux! Seulement, la réalité ou plutôt l’application n’a pas permis d’atteindre les objectifs visés puisque, les places étant restreintes, ce sont majoritairement les enfants des familles les mieux nanties et les plus éduquées qui ont eu accès aux places disponibles.

Si vous êtes parents de jeunes enfants, vous avez sans l’ombre d’un doute été confrontés à la dure réalité du manque de place en service de garde éducatif de qualité.

Imaginez les familles vulnérables qui doivent prioritairement tout mettre en œuvre pour trouver les ressources minimales afin de répondre aux besoins de base de la maisonnée (se loger, se vêtir et se nourrir). Sont-elles en mesure d’être les premières à faire les démarches pour obtenir une place en service de garde pour leurs enfants?

La réponse est évidemment non.

Nous en sommes donc toujours au même point : les enfants des familles vulnérables sont toujours celles qui ont le moins accès à un milieu éducatif stimulant et sécurisant.

Et c’est ici que j’ai envie de crier très fort que ce n’est pas en les amenant soudainement à l’école que le problème va se régler.

Ces enfants ont besoin d’un accès prioritaire en service de garde éducatif à l’enfance! Et ce, avant l’âge de 4 ans.

Ces enfants ont besoin de l’accompagnement d’une éducatrice formée et bienveillante et d’un petit groupe de camarades auprès desquels ils pourront développer leurs habiletés sociales et affectives; habiletés sur lesquelles pourront s’asseoir les apprentissages à venir. Plus tard s’il-vous-plaît!

Ces enfants ont besoin d’un environnement qui leur permettra de développer toutes les dimensions de leur petite-grande personne afin que leur cerveau et leur cœur soient prêts à bien vivre la vie scolaire et sociale telle qu’on la connait chez nous.

J’ai une grande amie qui agit présentement à titre de conseillère pédagogique auprès des enseignants et des enseignantes d’une école primaire. Elle est dépassée (mais pas surprise du tout) par la réalité choquante de ces professionnels qui doivent prendre en charge les nouvelles classes de maternelle 4 ans. Ils sont dans l’impossibilité de s’épanouir et d’accompagner les enfants dans leur épanouissement puisqu’ils n’ont pas une idée claire de la manière dont ils doivent et peuvent répondre aux différents besoins des enfants de 4 ans de leurs classes. Parce que l’enseignement et l’éducation à l’enfance sont deux univers différents. Par le rythme des journées. Par le niveau d’autonomie des enfants. Par la dimension de leurs besoins de tout-petits. Par les qualités et les habiletés professionnelles requises, etc.

Vous ne trouvez pas cela épouvantable ?!?

Le Québec est déjà aux prises avec un manque de personnel dans les écoles. Beaucoup d’enseignantes ne supportent plus le rythme et la charge démesurée qu’on exige d’elles.

Sauront-elles offrir le meilleur d’elles-mêmes aux tout-petits? Sauront-elles répondre aux besoins réels de ces tout-petits?

À part peut-être quelques exceptions, la plupart d’entre elles auront beaucoup de rattrapage à faire avant d’y parvenir. Si parvenir se peut…

Il n’est pas difficile de prévoir que nous devrons, en tant que société, récupérer les frasques humaines créées par cette loi 5. Économiserons-nous réellement lorsque nous serons face à des enfants, des adolescents et des adultes aux prises avec plusieurs problèmes et qui ont fréquenté les maternelles 4 ans? Je n’ai pas de boule de cristal, mais je n’entrevois pas un avenir très reluisant…

Il y a tant de chose à dire à ce sujet, tant d’éléments à considérer et à mettre au premier plan si on veut atteindre les objectifs visés…

Ici et maintenant, je rêve d’une commission qui prendra le temps de nommer les besoins et les objectifs et de s’asseoir avec les intervenants pour qu’ensemble, nous trouvions la fromule gagnante. La formule qui permettra à tous les enfants du Québec d’avoir accès à un service éducatif de qualité répondant à leurs besoins réels tel que stipulé dans le programme éducatif du Ministère de l’éducation et suivant les principes de base suivants:

  • Le partenariat entre le service de garde éducatif à l’enfance et les parents est essentiel au développement harmonieux de l’enfant.
  • L’enfant apprend par le jeu.
  • L’enfant est l’acteur principal de son développement.
  • Chaque enfant est unique.
  • Le développement de l’enfant est un processus global et intégré.

Demandez aux éducatrices si elles se sentent toujours en mesure de répondre à tous les besoins de chaque enfant de leur groupe et vous verrez que la réponse n’est pas souvent oui. Pourtant, elles n’ont que 8 à 10 enfants sous leur responsabilité.

Demandez aux éducatrices si elles seraient capables d’offrir la même qualité de service et de réponse aux besoins individuels si elles avaient entre 15 et 17 enfants à charge (charge est ici le mot juste ☹) et la réponse est clairement et officiellement non, car cela est définitivement humainement impossible!

On pourrait juste tout arrêter là avec ce seul argument et constater simplement que ce seul aspect est suffisant pour hypothéquer très rapidement la santé et la sécurité de nos tout-petits.

Mais je ne peux garder sous silence le fait que les enfants de 4 ans:

  • Ont besoin de faire la sieste, accompagné de l’adulte significatif  (besoin physiologique).
  • Ont besoin de s’alimenter sainement (besoin physiologie). Est-ce réaliste de penser que toutes les boîtes à lunch contiendront tout ce qu’il faut pour répondre aux besoins nutritionnels? Si l’objectif est de remplir les classes des enfants issus des familles vulnérables, il faut s’attendre à ce que ces enfants arrivent souvent le ventre vide à l’école et sans boîte à lunch.
  • Ont besoin d’un milieu sécurisant et de développer un lien affectif stable et sécurisant avec une personne qui prendra soin de leurs besoins (besoin affectif).

Comment répondrons-nous à ce besoin lorsque l’école sera fermée pour l’été et que les tout-petits devront fréquenter un camp de jour? N’oublions pas que le contexte de pénurie de main d’œuvre qualifiée affecte grandement les services de garde éducatifs. Il va sans dire que les animatrices de camp de jour seront de jeunes étudiants qui, bien malgré eux,  ne seront pas toujours en mesure de répondre aux besoins physiologiques et affectifs des enfants dont ils auront la responsabilité.

Adaptabilité versus sécurité affective

Je vais vous dire une phrase que je prononce souvent, car elle fait beaucoup de sens pour moi et est révélatrice de mes observations au fil du temps, c’est-à-dire de mes 23 dernières années à accompagner des enfants et des familles:

« L’humain est adaptable. L’enfant trouvera toujours le moyen de s’adapter à une nouvelle réalité. Mais l’adaptabilité n’est pas une ressource inépuisable et sans conséquence puisque l’enfant qui doit s’adapter continuellement n’y parvient pas sans y laisser un morceau de sa sécurité affective. Et la sécurité affective est essentielle à une bonne capacité d’adaptation. »

Donc, si on ampute prématurément la sécurité affective d’un enfant, on fait inévitablement une brèche dans sa capacité d’adaptation future, capacité nécessaire à l’adulte autonome.

Bénéficier et jouir d’un modèle éducationnel qui formeraient et façonneraient des adultes autonomes, n’est-ce pas l’objectif que nous visons comme société?

Ressources :

Voici le lien vers le programme éducatif révisé. Si vous êtes curieux, ces quelques 206 pages démontrent la complexité du travail d’éducatrice à l’enfance :

https://www.mfa.gouv.qc.ca/fr/publication/Documents/programme_educatif.pdf

Voici le lien vers le programme de formation de l’école québécoise au préscolaire 4 ans. Ce document comporte 36 pages et oublie la très grande majorité de ce qui est établi dans le programme du MFA qui a pourtant été révisé il y a quelques mois seulement :

http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/education/jeunes/pfeq/PFEQ_programme-prescolaire-4-ans_2017.pdf

Il est légitime de se demander pourquoi toutes les prémices de base du premier programme ne sont pas incluses dans le second programme tandis qu’on y parle de la même clientèle, celle des enfants québécois de 4 ans…

Je m’arrête ici, mais dès demain, je termine en mettant en parallèle le dépistage précoce et le stress..

Élyse Gagnon-Pelletie