Le projet de loi de la maternelle 4 ans : la suite

Par Elyse Gagnon-Pelletier de la Garderie-Maternelle Hibouge et Bilingo

Hier, Élyse nous partageait ses arguments afin d’illustrer le pourquoi de son désaccord face au projet de loi de la maternelle 4 ans. Œuvrant dans le milieu de la petite enfance depuis maintenant 23 ans, c’est avec toute son expérience, ses compétences professionnelles et tout son cœur qu’elle nous livrait son témoignage… En voici la suite et la conclusion.

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Dépistage précoce versus stress

Concrètement, si l’objectif est de faire du dépistage précoce, ce dernier se fera sur la base d’observations des comportements. En fonction d’un ratio plus élevé qu’en service de garde, les besoins spécifiques des enfants du groupe ne seront assurément pas tous comblés. De ce fait, les intervenantes observeront nécessairement de nombreux comportements inadéquats ou dérangeants, symptômes des réponses déficitaires à leurs besoins. Les enfants de 4 ans ne nomment pas leurs besoins, ils les manifestent. Plus leurs besoins sont régulièrement comblés de manière appropriée, plus les manifestations sont adéquates. Mais l’inverse est tout aussi vrai et malheureusement, beaucoup plus néfaste et problématique. Lorsqu’un enfant tente d’exprimer un besoin par des pleurs, une colère, une désorganisation quelconque, il y a de fortes chances qu’une intervenante débordée n’y réponde pas de la bonne façon ou n’y réponde pas du tout. Le cycle de la désorganisation s’encre alors dans la dynamique individuelle de l’enfant et dans la dynamique relationnelle entre cet enfant et l’intervenante.

Donc, je reviens à l’objectif de dépistage précoce et affirme qu’il sera impossible d’y parvenir dans un contexte de maternelle 4 ans en milieu scolaire, puisque tous les enfants auront des besoins qu’ils ne pourront nommer, mais qui se manifesteront. Il est facile de prédire que même les enfants qui fonctionneraient bien dans un contexte de service de garde auront de la difficulté à obtenir des réponses appropriées (de la bonne manière et au bon moment) à leurs besoins et qu’ils développeront des comportements révélateurs de leur niveau de stress et d’insécurité. (Certains d’entre eux, les plus résilients, s’en sortiront. Il ne faut pas être 100% fataliste.)

L’intervenante observera alors un grand nombre d’enfants présentant des comportements inadéquats ou dérangeants. Parce que c’est tout simplement humainement impossible pour une seule personne de répondre aux besoins de 15, 16 ou 17 enfants âgés de 4 ans. Parce que la qualité de la réponse aux besoins est proportionnellement liée au sentiment de confiance et de sécurité. Et que c’est ce sentiment qui permet à l’enfant de limiter le niveau se stress ressenti et ainsi d’apprendre à exprimer positivement (la plupart du temps) ses besoins.

Quant à parler du stress, facteur influençant le niveau de bonheur, il faut se rappeler que plus il y a de règles, de consignes et de restrictions dans l’environnement d’un enfant, plus on augmente le potentiel de stress dans son vécu quotidien. Et le stress s’exprimera par les comportements dons je vous parle depuis tantôt. Certains enfants réagiront de manière explosive, mais d’autres s’inhiberont. Ces derniers sont d’autant plus à risque du fait que l’intervenante surmenée se fera une joie d’avoir cet enfant calme et posé dans son groupe. Il est important de faire la différence entre la gêne ou la timidité et l’inhibition, puisque le premier est un trait de caractère et le second, une manifestation importante d’insécurité affective et sociale.

Pour survivre, les enseignantes des classes de maternelle 4 ans devront mettre en place une structure extrêmement réglementée.

Bien évidemment que les règles existent aussi dans nos milieux de la petite enfance. Mais c’est tout le contraire de ce que nous tentons de faire jour après jour dans nos milieux éducatifs auprès des enfants de 0 à 5 ans tandis que nous travaillons à aménager nos routines et nos espaces afin d’induire naturellement les transitions tout en limitant le nombre d’interventions.

Je ne comprends pas pourquoi nous devons encore débattre de ce sujet en 2019 alors que nous sommes suffisamment connaissant en la matière et que nous sommes capables de consolider une structure adéquate pour tous les enfants du Québec!

Je ne comprends pas pourquoi on cherche à obtenir l’opinion favorable du public sur un dossier scientifique! La question de savoir si les parents des enfants québécois aiment la maternelle 4 ans est totalement non pertinente! Je ne m’attaque pas à leur capacité de jugement ou à leurs aptitudes parentales. C’est simplement qu’ils n’ont pas toutes les informations nécessaires pour avoir une opinion juste et valable à long terme.

Écoutons nos spécialistes, nos chercheurs et nos amoureux engagés de la petite enfance!

Ils ont une seule et même voix!

Élyse Gagnon-Pelletie