Ma maman qui sait faire des bords de pantalon

ma maman qui sait

Ma petite maman d’amour, elle m’aide. Elle m’aide vraiment avec mes petits cocos… Je dis « petite », mais c’est une marque d’affection. Ce n’est pas la même chose que « petite madame » ou « petit monsieur »… On dirait que ces expressions-là, ça rend les gens moins extraordinaires. Comme si, du haut de notre condescendance, on les prenait un peu en pitié.

Il y a longtemps que je réfléchis à ma mère (et à mon père). Elle est d’une génération où on disait aux femmes que l’accomplissement se trouvait dans une table bien garnie, une recette de poulet chasseur réussie, un plancher qui sent le citron…

En plus, elle était coincée entre ma grand-mère (qui ne travaillait pas et qui frottait toute la journée) et sa descendance féminine à qui on sommait d’avoir une carrière grandiose et de remettre sans cesse à plus tard le ménage des armoires.

Elle devait faire les deux. Et exceller dans les deux.

Mais moi, quand elle vient m’aider, ma mère, je vous dis qu’elle frotte en vous en donner des complexes. Elle décrotte les bords de fenêtre avec une guenille et un couteau (non, mais faites-vous encore ça, vous ?); elle te cuisine de la sauce à spaghettis « sur les ronds » et un bœuf à la bière à la mijoteuse (en même temps), puis elle congèle le tout dans des contenants identifiés avec la date et tout le tralala.

Et ça, c’est sans parler du linge qu’elle frotte aussi à en désincruster n’importe quelle tache, alors que moi, je laisse le produit soit-disant miracle agir, en priant le ciel que ça parte, sinon… tant pis.

Ah! Et puis, elle est capable de faire des bords de pantalon, recoudre un bouton, repriser le petit linge d’enfants défraîchi (le linge, pas les enfants).

Pourquoi je vous parle de tout ça? Bien, parce que je l’aime, ma mère et j’apprécie tellement tout ce qu’elle fait pour ma petite famille et moi.

Et aussi parce qu’avant d’avoir des enfants, je ne voulais pas être une machine à faire des repas et avoir constamment les mains qui trempent dans l’eau de vaisselle. Je ne trouvais pas ça tellement valorisant, pas tellement épanouissant…

Je voulais me réinventer une maternité où je ferais du sport, où je jouerais tout le temps avec mes enfants et où, comme par magie, on mangerait bien quand même tous les soirs et où on vivrait dans une maison où il fait bon vivre, parce qu’assez rangée et organisée…

J’ai tenté de le faire, oui, c’est vrai. Mais les repas n’étaient pas tellement satisfaisants, j’étais exaspérée de voir les vêtements s’empiler et voir s’amonceler un paquet de traîneries dans nos aires de vie.

Alors, je me suis dit : « Qu’est-ce que mamie Li ferait, elle? ».

Avec un sourire dans le cœur, c’est maintenant avec conviction que je libère du temps pour toutes ces tâches qui ne sont pas plus intéressantes qu’avant (mis à part la cuisine, peut-être?), mais qui font la différence entre une maison qu’on oublie et une maison dans laquelle on vit. Vraiment.

Je ne fais peut-être pas de grand ménage du printemps. On ne peut pas « manger sur notre plancher de cuisine » tellement il est propre non plus, mais j’ai envie qu’on développe le goût des petits plats faits avec amour en même temps que notre cerveau chez nous. J’ai envie qu’on dorme dans des draps qui sentent « le frais » parce qu’on a pris le temps de les faire sécher sur la corde une belle journée d’été. J’ai envie que, pas tout le temps, mais que souvent, on trouve aussi du plaisir à effectuer ces tâches qui ne sont « donc pas valorisantes », mais qui embellissent notre quotidien.

J’ai envie d’être aussi cette mère-là, même si je sais que pour d’autres, ça ne se passe pas comme ça. J’ai envie d’être une partie de mamie Li, de ne pas perdre cette art d’aider les autres, de leur dire je t’aime avec des bons biscuits et des petites chambres qu’on apprend à ranger pour mieux y respirer…

Je suis féministe. Et je sais que ma mère l’est aussi au fond d’elle-même. Mais ça ne m’empêche pas de trouver ça beau, une maison habitée comme ça… Même si j’ai de l’aide, je suis de celles qui ne se sentent jamais complètement chez elles sans avoir manier l’aspirateur, le chiffon ou les chaudrons. Je l’ai découvert, tout simplement.

Je me suis aussi demandée quel genre de mère je serais quand ma grande Chacha et mon P’tit Loup nous quitteraient pour leur premier appartement. Ou quand ils auront des enfants (s’ils en veulent). Je veux être capable de les aider à la manière de mamie Li et papi Ri.

Parce que je suis certaine qu’ils vont aimer ça, que je leur fasse de la sauce à spaghettis et que je plie leurs serviettes de bain comme dans les magasins : toutes dans le même sens…

Pascale Clavel