On avait besoin de Passe-Partout

Mes enfants aiment Passe-Partout. Comme ma sœur et moi avons adoré ces émissions, petites. Comment pourrait-il en être autrement?

Mais pourquoi une telle fascination de la part de nos loulous pour ces trois amis sans âge? Pour ces marionnettes, qui, somme toute, n’ont rien de flamboyant, d’extraordinaire? Quel est le secret du succès de Passe-Partout? On a tous nos hypothèses, non?

C’est en prenant le temps de m’asseoir avec mes enfants devant les premières émissions de la toute nouvelle édition 2019 que j’ai réalisé que nous avions bien besoin de Passe-Partout… Que cela faisait une éternité que je ne m’étais pas « posée » pour la peine. Je passe du temps avec mes cocos, mais il me semble que mon corps et ma tête, eux, ne s’arrêtent vraiment jamais de remuer, de turlupiner.

Confession : Passe-Partout m’a fait du bien.

« Non, mais ils n’ont rien inventé! », que j’entends parfois autour de moi. « Ils ont refait presque la même chose. »

Oui, pardieu! Et c’est tant mieux!, que je m’exclame avec la fougue d’une groupie pleinement assumée. Pourquoi diantre jeter à la poubelle un concept aussi extraordinaire qui, bien humblement parlant, n’a pas semblé trouver d’égal au fil des années!? (Cela n’enlève rien aux autres émissions pour enfants qui ont su se tailler une place depuis 40 ans dans notre panorama « télévisuel », on s’entend.)

Mais l’empreinte qu’a laissée Passe-Partout en est une des plus fascinantes pour toute une génération de Québécois. Cette émission fait partie de nos références culturelles, elle est devenue une véritable légende! Alors si on veut faire renaître cette légende, on dit oui, on attend, on espère. Une partie de notre enfant intérieur en redemande déjà.

Quel beau cadeau à offrir à ses propres enfants, une légende… D’autant plus que les visages derrière le contenu de Passe-Partout étaient des passionnés de l’éducation. Ils avaient été mandatés par le ministère lui-même. Je pourrais à l’instant vous parler de Laurent Lachance, considéré comme le « père de Passe-Partout ». Du but premier de cette émission, soit la stimulation des enfants d’âge préscolaire, avec une attention particulière portée à ceux provenant de milieux défavorisés… Mais j’ai plutôt envie de vous dire comment la « renaissance » du culte Passe-Partout m’a frappée en plein visage, telle une révélation que la mère stressée et occupée que je suis devenue a vécu tout doucement, en se pelotonnant avec ses enfants sous une doudou un brin élimée, lors de cette « première » soirée tant attendue.

Pourquoi on avait grandement besoin de Passe-Partout? Parce que cette émission suit le rythme naturel des enfants. Tout simplement. On a beau croire que cette époque est révolue, que notre progéniture préfère se trémousser devant de courts vidéos au rythme effréné sur YouTube à la Baby Shark, mais je pense sincèrement que les enfants sont sensibles à toute une gamme de stimulations et pas seulement à la télé fast-food… Un enfant reste un enfant, malgré le temps qui passe, malgré les avancées technologiques et les nouvelles tendances. Et, pour apprendre, s’ouvrir au monde et être heureux, un enfant a besoin de temps.

Il a besoin d’être ancré dans le présent à regarder des légumes pousser, à être fasciné par le spectacle des bernaches qui déploient leurs ailes en plein ciel, par celui d’une petite fille qui caresse un chien… Une fois, deux fois, trois fois. Un enfant est amoureux de la répétition. Il est maître dans l’art de la contemplation.

Il a besoin que les adultes qui l’entourent prennent le temps de lui expliquer les choses. Pas entre deux feux, deux courses, deux rendez-vous. Il veut qu’on le regarde dans les yeux, qu’on lui parle de « quand on était petits », qu’on lui raconte des histoires en y prenant réellement plaisir, en se laissant bercer par cette magie momentanée.

Il a envie d’explorer sa voix en parlant en rimes et d’ouvrir grand les yeux d’excitation quand il comprend enfin, quand le déclic se fait.  Il veut prononcer plusieurs fois la même phrase en empruntant des tonalités différentes « juste parce que… ». Il veut nous montrer comment il est capable d’imiter un éléphant, un flamant rose, un bébé qui pleure. C’est comme ça qu’il construit sa compréhension du monde, qu’il s’ouvre à sa beauté.

(…)

À la fin de la première émission de Passe-Partout, je me suis demandée à quand remontait la dernière fois où j’avais pris le temps de regarder les nuages défiler dans le ciel avec mes enfants. À quand j’avais VRAIMENT pris le temps d’apprivoiser une peur avec eux, en y allant doucement, sans me sentir bousculée de l’intérieur. (Approcher un animal, un petit pas à la fois. Accepter que ça ne marche pas du premier coup. Recommencer quelques jours plus tard, sans insister.) J’étais tellement heureuse de voir mon petit garçon pointer des animaux qu’il connaissait à l’écran avec son petit doigt.  À un moment donné, il s’est mis à imiter le mouvement des chevaux qui galopaient en soulevant et déposant son petit corps, comme ça, tout naturellement, en suivant le rythme de ces bêtes majestueuses. Je me suis surprise à éprouver pratiquement autant de plaisir que lui à être témoin d’un tel spectacle…

À quand remontait la dernière fois où je m’étais permise de regarder un coq chanter? Une fois, deux fois, trois fois… Avais-je déjà placé ça à mon horaire, dans ma liste d’activités soit-disant familiales?

Et que dire des chansons… Dans l’article de Valérie Simard (la Presse) où on pouvait lire les impressions de nulle autre qu’Annie Brocoli face au succès phénoménal de la chanson « Baby Shark », on stipulait que, pour plaire, une chanson devait avoir un rythme rapide. Il y avait bien d’autres ingrédients « magiques » pour accrocher les enfants, mais le rythme semblait venir en tête de liste.  Or, mes enfants écoutent en boucle les chansons de Passe-Partout dans la voiture depuis le retour des émissions. Sans cesse. Tout le temps. Et cela inclut la berceuse créole interprétée par Fardoche et « Bon dodo, mon ami. » Je ne réduis pas mon propos en affirmant qu’il n’y a qu’un type de tubes à succès pour enfants, sauf que…

Celle qui a piloté le « Broco Show » sur les ondes de Radio -Canada continuait en affirmant que « le courant dans lequel elle avait évolué était mort (…) Maintenant, ça se passe sur la tablette. Des petites vidéos courtes, sans suite et sans histoire » Elle souhaiterait vraiment que « quelqu’un puisse faire sa place, avec une dimension humaine, des câlins, des spectacles et de vraies rencontres.»

Eh bien madame Brocoli, je crois sincèrement que votre souhait vient d’être exaucé et que les « vraies rencontres » ne sauraient tarder…

Crédit-photo : Télé-Québec

Pascale Clavel
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