J’ai eu envie de t’écrire aujourd’hui, car même si nos réalités sont différentes, il m’arrive parfois de me sentir plus près de toi que tu ne le crois.
Tu vas sûrement me dire que je ne pourrai jamais te comprendre parfaitement, puisque je n’ai jamais su ce que c’était que d’être seule à bord pour faire de mes enfants de meilleurs êtres humains. Pour les mener à bon port…
Oui, c’est vrai. Mais je ne peux m’empêcher de me mettre à ta place. Ne t’inquiète pas; je ne vais pas sombrer ici dans une sorte de pitié, cette posture d’observateurs passifs lamentable qui me pue au nez et que certaines personnes prennent parfois en te regardant faire pousser tes enfants dans ton jardin de fille que l’on dit « toute seule ». Toi qui les arroses de ton amour unique de mère aux mille et une ressources pour les empêcher de grandir dans tous les sens, un peu comme le ferait l’herbe folle que l’on ose appeler mauvaise… Toi qui, somme toute, ne fais que le même travail que n’importe quel parent désireux de voir le soleil briller pour toutes ces graines semées. Jour après jour. Toujours.
Parce qu’être célibataire peut être un choix assumé, une avenue souhaitable pour soi, pour tout le monde, qu’on se le tienne pour dit! Et si ça ne l’est pas, si tu ne l’as pas choisi, j’imagine que tu fais de ton mieux pour prendre soin de chacun de tes trésors et pour maintenir cet équilibre vers lequel nous tendons tous.
Je me demande souvent comment tu fais. Voilà. C’est dit. Comment fais-tu pour être si solide, malgré tout ce qu’il y a à faire, malgré la pression sociale qui positionne la vie à deux au premier rang sur l’échelle du bonheur, comme si c’était l’accomplissement ultime d’une vie… Je dois t’avouer que même en couple, cette pression, je la ressens aussi et je ne la gère pas aussi bien que je le voudrais.
Je te reconnais dans le visage d’une amie, d’une cousine, d’une parfaite étrangère et je me vois en toi. Parce que tu es une femme, une mère, une ambitieuse majestueuse… Ne voulons-nous pas toutes un peu la même chose? Être avec nos enfants tout en cultivant nos accomplissements, que ce soit sur le plan personnel ou professionnel? Ne sommes-nous pas toujours prises entre les deux? Tiraillées entre notre rôle de mère et tous les autres souliers à chausser au cours d’une vie? La maternité nous comble tout en n’étant pas assez…
Je dois t’avouer quelque chose… Ce n’est pas une partie de moi dont je suis particulièrement fière, surtout en 2017! J’en ai même honte à mes heures, mais il m’arrive parfois d’avoir peur du jugement des autres quand je sors seule avec mon enfant…
Il faut savoir que, mon conjoint et moi, on a des horaires de travail bien différents! À lire : il m’arrive assez régulièrement de faire des activités en tête-à-tête avec ma grande. Même si j’ai un homme présent dont le cœur déborde d’amour pour nous. Nous avons atteint notre vitesse de croisière de cette manière et nous avons forgé notre vie de famille en jonglant avec les exigences de nos passions respectives.
On peut dire qu’on est heureux, mais pourtant, quand je suis seule au restaurant avec ma minie, j’ai l’impression que je dois me justifier, prouver aux autres que cette sortie de parent « non accompagnée » n’est pas chose habituelle. Je me demande ce que les gens vont penser. Pas toujours, mais parfois… Il me semble que c’est déjà trop souvent, non? Et c’est d’un ridicule, je le sais bien!
Est-ce seulement moi qui me mets cette pression grotesque?! Est-ce que tu dois aussi faire face à ce sentiment d’imposture quand tu te présentes seule avec tes trésors au cinéma, au magasin, en voyage? Une famille n’est pas moins une famille si elle n’a à sa tête qu’un seul capitaine, il me semble?
C’est peut-être la faute des contes de fées dont on nous a farci le crâne depuis notre tendre enfance….
« Ils vécurent heureux et ils eurent beaucoup d’enfants… »
C’est peut-être la faute des pubs de vacances dans les tout-inclus où l’on ne voit que des couples souriants et bronzés qui pataugent dans la mer avec leurs perfections d’enfants faits sur mesure?
C’est peut-être aussi parce qu’on ne nous a jamais dit que de faire cavalier seul, c’était AUSSI, une avenue envisageable. Que de n’être que nous-mêmes, c’était amplement assez. Que nous pouvions nous suffire à nous-mêmes (quel sacrilège!) Que nous n’avions pas besoin du regard de l’autre pour nous aimer, pour nous sentier entières, pleines de vie, pleines de tout.
Ce n’est pas de l’orgueil, ni de l’égocentrisme, ni de la suffisance. Non; on a tous besoin des autres, je le sais bien… Je pense simplement que d’être conditionnées à la fusion des êtres comme mode de survie affective, ça n’aide personne…
Pourquoi un être seul (que ce soit le temps d’une sortie ou d’un célibat tantôt assumé tantôt subi) devrait-il être considéré comme une moitié de quelque chose, comme un ensemble à compléter?
Alors que je n’avais pas encore rencontré mon amoureux-père-de-mes-enfants, on m’avait gentiment dit : « Bien voyons, ça ne se peut pas que tu n’aies pas de chum! As-tu un défaut de fabrication caché, quelque chose!? »
La personne en question était tout à fait charmante et me voulait du bien… Mais cela démontre à quel point il est difficile d’envisager (de supporter) que quelqu’un puisse demeurer dans une sorte de statu quo non-amoureux pendant plusieurs mois sans en souffrir.
Je me plais à penser qu’avant d’aimer quelqu’un d’autre, il faut d’abord apprendre à s’aimer soi-même, même si c’est convenu, même si on peut flairer la phrase prémâchée. Et qu’il y a une multitude de façons de s’inventer un bonheur le temps d’un dîner en tête-à-tête avec nos enfants, le temps d’une semaine, voire d’années entières…
C’est ce que j’espère léguer à ma fille : la nécessité de prendre soin d’elle, parce que personne d’autre ne peut totalement le faire à sa place. S’aimer soi-même tout en restant ouverte à l’amour des autres, aux compromis, ça se peut, non?
Voir le couple non pas comme une quête acharnée, mais plus comme une possibilité…
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